14- La guerre de mon grand-père : les servants de la 4ém ont été blessés

« J’assiste à un spectacle inoubliable ! Les boches, après leur avance de quatre kilomètres arrêtée par le feu nourri de notre artillerie !

On voit que les vies humaines de comptent guère, car ce secteur est gorgé de batteries françaises : c’est vraiment les envoyer à la boucherie, que de faire avancer des hommes, sous le feu nourri des canons. Et pourtant ils réattaquent !*

Je le vois avec les jumelles que m’a prêtées le camarade Margis au  PC : des rangs serrés qui avancent,  ensuite, ces fumées qui tombent dessus, ces sont des obus qui font mouche !

Dans ce tas, il en reste par terre et, le reste s’éparpille en débandades de tous côtés, pour se reformer plus loin, sans doute à l’appel de leurs chefs, et, le spectacle de la boucherie recommence, car nos canons ne cessent pas de tirer,  et de bien tirer, je l’assume.

C’est un spectacle à la fois grandiose et navrant, et surtout triste, car le temps est clair, le matin est venu, les boches ont tort de donner cette nouvelle attaque qui leur est préjudiciable, mais ils veulent sans doute continuer l’avance de cette nuit par les fantassins, sans compter les pertes d’hommes.

Il est donc prouvé que nous savions et que nous étions sur nos gardes, car toutes les batteries françaises  éparpillées le prouvent : les nôtres avaient prévus des tranchées de replis et, nos pertes ne sont pas trop grandes.*

A neuf heures, les boches ont compris l’inutilité de leurs efforts, car ils se sont arrêtés, et le secteur est redevenu calme, mais j’ai eu chaud ! A partir de la nous sommes à un  tournant :

Je me sens mieux ici dans un abri et, c’est tout ce que je demande ; je pense enfin à me passer un peu d’eau sur la figure, un copain me prête une serviette et du savon, car je suis méconnaissable, tout noir du tir de cette nuit, la sueur a coulé sur ma figure, faisant des trainées jusqu’à la barbe.

On me donne des sardines à l’huile, et un meilleur café que celui de la batterie. L’après midi, je suis redemandé par notre chef de pièce car il manque d’hommes à la batterie, je prends le chemin du retour un peu plus calme qu’à l’aller.

Tous le monde se repose dans les deux camps, seules quelques batteries des nôtres tirent encore, afin d’empêcher les boches de consolider leur nouvelle place, place qu’ils n’ont pas du trouver en bon état, car tout est chamboulé par notre artillerie, un beau charivari de terre !  Cette journée s’écoule sans incident, et nous ne tirons pas, il n’y a que des tirs de harcèlement, fait par les pièces de gros calibres, qu’on entend passer au dessus de nos têtes, comme des trains de banlieue.

Nous sommes le 16 juillet 1918, nous avons passé une bonne nuit, mais cette journée devait être néfaste à notre batterie.

Aujourd’hui, juste au moment où nous faisions un petit tir de réglage, voilà qu’un 150 boche, arrive en plein devant la 4ém pièce*** de notre batterie (je suis à la première),  et tous les servants de cette pièce ont été blessés.

Bien entendu, nous sommes partis les ramasser : mon copain Néné, le niçois n’a reçu qu’une légère blessure,  je l’ai porté sur mon dos, je pense qu’il a eu une forte commotion. Il y en a qui sont bien atteints, mais sommes toutes, pas la belle blessure comme on dit ici, celle qui vous fait prendre un peu de repos : qui la jambe, qui le bras.

Tout le monde est soigné à l’infirmerie ambulante, et sans doute sera évacué à l’arrière, cela n’ennuie pas mon copain … et nous les envions un peu ! Ils n’auraient pas du nous faire tirer, encore un essai inutile, car nous sommes trop près des boches, pour des pièces lourdes, aussi la réponse n’a pas tardé, et si on continuait, on y restait tous. Ils l’ont compris.

Dans la journée après attente, il vient un ordre : nous devons partir pour aller,  dit-on, au repos. Chouette, mais si c’est vraiment du repos, c’est pour que nous soyons des troupes fraiches, et le bruit court d’une autre attaque plus loin. 

Il pourrait bien nous faire faire les troupes de choc, avec nos 105** à tirs rapide, et nous faire tirer à moins de 1500 mètres des  tranchées. Nous devons préparer tout le matériel, défaire les plateformes, amener les pièces sur ordre de route, préparer les obus pour être chargés et tous le bardas.

Les chevaux vont arriver ce soir dans la nuit, car le jour nous sommes repérables et, nous irons camper au village de Mourmelon, où nous devons prendre le départ demain matin de bonne heure. Belle nuit encore en perspective, car qui sait où l’on va dormir, mais nous sommes quand même contents de quitter ce secteur qui va devenir un enfer, surtout que nous ne sommes ici qu’à 1200 mètres des tranchées. Nous embarquerons par une gare et, cela nous fait plaisir.  Cependant sur les routes, il y a toujours les tirs de harcèlement. On  passe au trot entre les rafales, car à certains endroits, les boches harcèlent les carrefours, pour empêcher le ravitaillement. A ce moment, les servants montent sur les caissons à obus, et le passage dangereux est franchi. Je ne sais si les boches entendent, mais tout ceci  fait un boucan de ferrailles, surtout la nuit.

Nous campons cette nuit là au village de Mourmelon, dans un ancien garage : nous passons une nuit assez bonne, malgré que nous soyons couchés à même le sol, sans paille, avec une seule couverture et le manteau repli… il fallait être  jeune !

Contrordre : nous ne partons pas encore, car une pièce, la première, la nôtre – nos servants sont débrouillards, et ça nous fait une belle jambe – est désignée pour aller dans le secteur, cette nuit, pour faire un tir de bombardement sur un grand convoi annoncé… c’est ce qu’on nous dit. Donc, attente dans le village, toute la journée et, nous vaquons à nos occupations : à la toilette, aux préparatifs de notre départ de cette nuit, pièces nettoyés, obus, (on n’en emporte que quarante),  ce ne sera pas un long tir. 

A la fin du jour, nous sommes prêts, et le départ est sonné, nous n’allons pas loin, c’est à environ trois kilomètres du village, dans la campagne. Nous arrivons en plein jour, encore dans une prairie, et mettons la batterie sous un grand arbre. Nous commençons à faire un déchargement de nos obus, aussi vite que possible, après réglages.

On dit que la réponse des boches ne se fera pas attendre, donc « gare à nos matricules ». Le signal étant donné, il n’y a pas de fainéants pour faire le tir, même nos conducteurs dont les chevaux sont derrière nous, viennent nous donner la main et, ces quarante obus sont lancés en moins d’un quart d’heure, c’est que le tir est rapide avec le 105 Schneider**.

Le départ est donné aussitôt, les gargouilles embarquées, les chariots attelés, et la pièce aussi, nous mettons vite les voiles, car nous espérons la réponse : il ne faut plus être là. Nous avons juste le temps de nous éclipser, car étant déjà loin, nous entendons un petit bombardement, par là-bas. « Ni vu, ni connu, plus rien sur place : nous avons fait vite ».

Nous rentrons au camp de Mourmelon, il fait déjà très sombre, et nous nous couchons comme la dernière nuit, cela nous console, quand même, car n’étant pas en batterie, nous allons passer une bonne nuit entière à dormir.

On dirait que depuis que nous avons des canons légers, on nous bouscule de nos positions stables, nous allons tirer à proximité des fantassins, tout comme les 75** de campagne. On mène la vie de nomade, on ne couche jamais au même endroit,  on tire presque toujours la nuit, et nous n’avons rien pour nous réconforter. Entre les dangers et la fatigue, conforme à la vie des poilus, ce n’est devenu intéressant qu’au moment où les boches ont commencés à flancher et à se retirer.

« Où est le temps du calme de Reims où nous étions presque des fonctionnaires, durant des mois à la même position ? ». Cependant, mon intuition m’a toujours dit que je m’en sortirais : « un jour où l’autre cette guerre doit finir : Pour finir il faudra que ça pète. » Tout de même le coup dur qui s’annonce m’inquiète un peu, mais l’insouciance prend le dessus (les cartes sont données à titre indicatif) .

*À partir de la contre-offensive du 18 juillet 1918, qui porte un coup fatal au potentiel militaire allemand, la guerre bascule définitivement en faveur des Français et des Britanniques. Le , pour la première fois, 500 chars français utilisés en masse permettent la percée du front au sud de Soissons. Commencée le 27 mai, la seconde bataille de la Marne s’achève le 6 août 18 par une victoire décisive des alliés. Foch en est aussitôt récompensé par le bâton de maréchal. Le 8 août, une offensive franco-américaine, entre Albert et Montdidier, inflige un revers sans précédent à l’ennemi. Ludendorff déplore un « jour de deuil de l’armée allemande ». Tout le territoire acquis par les Allemands au printemps est repris. Ludendorff comprend que la guerre est perdue. Dès le 13 août, il avoue à demi-mot au gouvernement et à l’Empereur le caractère inéluctable de l’armistice. .d’après le site d’histoire Hérodote

**Le canon de 105 mm modèle 1913 Schneider était une pièce d’artillerie française utilisée pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale. Initialement, l’armée française ne montra que peu d’intérêt pour ce nouveau modèle du fait du grand nombre de canons de 75 mm modèle 1897 qu’elle avait en service. Néanmoins en 1913, celle-ci décida d’acheter un petit nombre d’unités sous la dénomination Canon de 105 mle 1913 Schneider. Les canons de 75 se révélèrent par la suite d’une efficacité limitée contre les tranchées adverses lors de l’enlisement en guerre de position de la Première Guerre mondiale. De ce fait, l’armée française en commanda un grand nombre, car son obus 105 mm de 15,74 kg était redoutable contre des positions fortifiées tout en permettant une portée effective plus grande (12 000 mètres).

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