Utilité versus Futilité : le logiciel chat GPT

La civilisation des loisirs s’oppose de  plus en plus à la civilisation bâtie sur  le  travail : utilité versus futilité. Il ne s’agit pas de faire l’éloge de l’une ou de l’autre. Utilité et futilité  sont les deux versants de la  montagne que nous gravissons  durant notre vie, ou plutôt nous la gravissons quand nous sommes utiles et la descendons souvent lorsque nous sommes futiles, si nous nous laissons trop aller. Les exemples sont légions,  le résultat est que ces deux mondes ne se rencontrent plus, car il y a une sorte de parti pris définitif du « tout utile » ou du « tout futile » qui s’oppose.

Je m’explique : préoccupés par les problèmes de la famille, des fins de mois, des salaires, des retraites chiches, des notes de soins  élevées, l’ampleur des problèmes environnementaux,  sociétaux,  la tache quasi impossible face à la souffrance des sans abris,  certains d’entre nous ne savent même pas ce qu’un instant de repos veut dire. Certains plus que d’autres  vivent  dans l’utile  ne connaissant absolument pas le sens du terme léger.

La plupart des jeunes de la génération Z, nés autour de l’an 2000 jugent cette civilisation des loisirs à la hauteur des dommages qu’elle a engendrés.

D’autres au contraire, fuient les ennuis en tournant la tête de l’autre côté, et consacrent  tout leur temps libre  à éviter ces préoccupations,   avec les moyens dont ils disposent (et ce n’est pas toujours glorieux), mais la plupart poussés par les tendances égocentrées,  ne se posent même pas la question : ils éliminent tout ce qui les dérange avec cynisme.

Les deux bords ne peuvent même plus se parler  : ils sont en désaccord sur tout, ainsi la société est clivée en deux parties !

Il faut de temps en temps  faire le point sur le sens de la vie humaine.  Copier le modèle promu par les écrans qui font la promotion de tout ce qui peut se vendre, n’a qu’un but : faire de vous un robot, puisque les robots sont en train de devenir nos challengers.

Cherchons le sens du progrès apporté par l’apparition d’internet dans les foyers, comme le fut jadis la télévision ; nous  communiquons par écran interposé  avec des gens qu’on n’aurait jamais vu, nous avons accès à l’encyclopédie wikipedia comme à des centaines de sites d’infos de toutes sortes ,   à des documents en PDF totalement gratuits sur des sujets très sérieux, etc, mais si on a un peu de bon sens, on a compris  qu’ il faut faire attention à ne pas s’égarer  et laisser de côté les sites people à rumeurs, et les vidéos stupides qui envahissent, car il faut, comme dans la vie, disposer de ce qu’on nous propose avec intelligence.

Le développement des intelligences artificielles nous a fait bondir d’un siècle à  l’autre, mais cela ne s’arrête pas là. Comme la machine à calculer jadis, qui fait que nos enfants ne savent plus faire une division, voici  l’apparition sur le marché de l’intelligence artificielle « Chat GPT »*

Ce nouveau logiciel en ligne peut  faire   vos dissertations, vos discours, vos thèses peut-être s’il le faut, sans votre intervention, rédigeant  des textes   sur tous les sujets en quelques minutes pour un abonnement désuet , avec une version gratuite de capacité inférieure ! Bill Gates a reconnu que c’était l’invention la plus importante depuis internet : un monde s’ouvre devant nous  maintenant,  à notre disposition.

C’est le complément d’internet, le clavier intelligent qui rédige seul en partant d’une idée que vous lui fournissez. Il prend la place d’un secrétaire  sans la touche personnelle, d’un professeur  sans la pédagogie, de l’écrivain et du scénariste sans le talent, mais bientôt il pourra  écrire « à la manière de » et produira à la chaine des histoires banales qui occuperont le spectateur ou le lecteur moyen devant son écran, ou son livre (tant qu’il y aura des arbres pour faire du papier).

Il va falloir trouver une faille à ce logiciel qui a été programmé avec tout ce qu’il y a de plus intelligent au monde, qui s’autogérant en apprenant au fur et à mesure, peut rendre  nos efforts   inutiles.

L’homme va-t il pouvoir garder la place  qui lui est dévolue depuis la nuit des temps ? Certes, le logiciel pourra stimuler les hommes et les femmes intelligents, qui voudront le défier, tel Gasparov le joueur d’échecs le meilleur au monde, face à une machine, mais la plupart des  « hommes en devenir » à savoir  les jeunes, préféreront  jouer à la console et faire faire le travail en se contentant de relire… et encore s’ils arrivent à le suivre, car quel cerveau au QI moyen va pouvoir dépasser la machine ?

Comment pourra-t-on se mesurer contre un outil à la portée de tout le monde, qui réfléchit à notre place ? Des savants avancent que le robot sera plus parfait que l’homme dans bien des cas notamment en chirurgie.

Le progrès nous ouvre apparemment  la voie de la futilité, en nous donnant du temps de libre, mais  fait de nous des robots du « prêt à vivre » : fast food, fast fashion,  speed dating et j’en passe. On pensera  à notre place,  dévalorisant ainsi toutes nos tentatives de réflexion concurrencé par quelque chose de plus brillant, que nous. Serons-nous de plus en plus destinés   à dépenser le fric que nous avons gagné puisqu’il il y a déjà longtemps que c’est  le règne du commerce, qui régit nos vies.

Les chercheurs qui n’ont souvent qu’une vision utilitaire* de leur travail –  courent-ils à notre perte ou vont-ils nous aider à passer à un niveau supérieur ?

Être utile intellectuellement** deviendra de plus en plus difficile, nous serons dévalorisés, remplacés par quelque chose qui n’est  même pas un animal, même pas un concurrent.

Pour en revenir à utile, et donner une lueur d’espoir, il y aura toujours un moyen de l’être car aucun robot programmé – un objet- ne peut de par sa composition plastique, circuits imprimés, puces et cartes mémoires, procurer la chaleur qui émane entre des êtres humains qui se rencontrent, pour se réconforter mutuellement.

Le Covid nous a montré qu’on peut se parler par écran interposé, mais qu’une main posée sur une épaule, vaut mieux que de longs discours lorsqu’on n’est pas autiste, même si Alexa, la boite vocale,   en apprenant nos phrases de politesse,  peut donner à une personne seule le sentiment d’avoir une compagnie, tout en lui apportant son aide.   

Bentham partait du principe, que le plaisir est l’unique  but de l’existence. Sans combattre ce point de vue, Stuart Mill a observé qu’on trouve d’autant mieux le bonheur personnel qu’on le cherche moins, et qu’on y parvient en travaillant au bonheur des autres, à l’amélioration du sort de l’humanité. » 

La question est : ce logiciel va-t-il améliorer le sort de l’humanité ?

Gérald Bronner, sociologue français dit « Penser, c’est être capable de faire face intellectuellement au non-sens et au hasard ».  Je vous encourage à poursuivre la réflexion.

 

 

* « Jusqu’à présent, l’intelligence artificielle pouvait lire et écrire, mais ne pouvait pas comprendre le contenu. Les nouveaux programmes comme ChatGPT rendront de nombreux emplois de bureau plus efficaces en aidant à rédiger des factures ou des courriels. Cela va changer notre monde.  » – Bill Gates, le cofondateur de Microsoft est conscient que tout n’est pas encore parfait, évoquant le fait qu’aujourd’hui, ces outils  » nécessitent trop de calculs  » et « ne sont pas toujours précis ». Mais il est confiant sur la capacité de ces intelligences artificielles à progresser rapidement grâce à l’apprentissage automatique. (de son propre aveux, il n’est pas objectif car il a des parts dans la société. 

**Le traité de John Stuart Mill  s’inspire de la morale de Bentham, fondateur de l’utilitarisme à la toute fin du XVIIIe siècle, l’utilitarisme substituant à l’intérêt particulier l’intérêt général comme critère premier de l’action. Mill, son disciple, a su comprendre que même une philosophie utilitaire ne saurait se passer d’une conscience et, il a voulu la doter d’un sentiment du devoir et d’une obligation morale. Le but de l’humanité et le défi de toute société consistent à réduire l’écart entre le bonheur individuel et le bonheur public. Or, aussi longtemps que cet écart existe, le bonheur d’autrui doit l’emporter sur mon bonheur personnel. « La seule liberté digne de ce nom, affirme Mill, est celle de travailler à notre propre bien de la manière qui nous est propre, pour autant que nous ne cherchions pas à en priver les autres ou à leur faire obstacle dans leurs efforts pour l’obtenir. »  John Stuart Mill – presque un siècle avant Keynes ! – attribue à l’État un rôle majeur dans la redistribution des revenus. S’il ne doit pas entraver le fonctionnement des marchés ni menacer la propriété privée, l’État doit malgré tout s’évertuer à réduire les inégalités et à protéger les faibles contre les forts Socialiste libéral, Mill développe une théorie politique concrète qui a fortement marqué le libéralisme économique et politique . voir https://www.toupie.org/Biographies/Mill.htm

  

 

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