la domination des faibles par les forts

Le livre Être esclave – Afrique-Amériques (XVe-XIXe siècles), de Catherine Coquery-Vidrovitch et Éric Mesnard,  décape les cerveaux qui sont toujours figés sur des données inexactes et, montre à quel point la manipulation fabrique  la différence qui perdure encore dans nos sociétés inégalitaires basées sur l’exploitation (sinon le rejet total) du différent, mais surtout une source d’exploitation d’hommes volontairement fragilisés par des hommes indignes, profiteurs dans tous les groupes de la société.

« L’esclavage est un phénomène très ancien, avec une grande majorité d’esclaves blancs. En effet, dans le monde méditerranéen ancien, avant que les Arabes n’organisent la traite à travers le Sahara, la plupart des esclaves venaient plutôt des grands espaces nordiques. Kiev était un grand centre de commerce des esclaves qui venaient du Nord – des grandes plaines sibériennes, par exemple –, pour être vendus vers l’Empire Ottoman. Avant la systématisation de l’esclavage noir, la quasi totalité des esclaves étaient des esclaves blancs.

Les histoires de vie – surtout de la traite atlantique – peuvent être exhumées via la recherche d’archives, notamment les archives de l’Inquisition au Brésil et en Angola, mais d’anciens esclaves ont eux-mêmes raconté et parfois écrit leur histoire. Les historiens en ont collecté aujourd’hui plusieurs milliers depuis la fin du XVIIe siècle, la plupart en langue anglaise.

Le statut « d’esclave » n’est pas  le même dans toutes les sociétés : il est très variable d’une société à une autre. Le mot esclave est lui-même relativement tardif. Il a été adopté vers le IIIe siècle de notre ère par les Romains. Cela vient de « Slave », « Slavonie », c’est-à-dire les pays du Nord.

Mais ce qui est intéressant, c’est de voir comment on dit « esclave » dans les langues locales. Dans les langues africaines, cela signifie : » Quelqu’un qui ne vaut rien, qui n’existe pas, qui n’a pas d’ancêtre ». L’esclave est « esclavisé »  en Afrique, il ou elle découvre sa nouvelle condition durant la traversée de l’océan, puis aux Amériques.

En Occident, le mot esclave est généralisé pour décrire des situations où l’autre est considéré comme une chose : possédé, échangeable, méprisable. Cette pensée repose sur une justification : l’esclave ne possède pas la culture du dominant.

Aristote dit par exemple que « tout barbare, cad  tout non-Grec, n’est bon qu’à être esclave ». En d’autres termes, l’esclave est un étranger qui ne vaut rien. Il vient toujours d’ailleurs, ce qui neutralise le risque de fuite : il lui est très difficile de retourner à son endroit d’origine. Il va transmettre cette absence d’ancêtres à sa descendance.

Ce sont les Berbères qui vont chercher des esclaves plus au sud, pour les Arabes d’Afrique du Nord. À la fin du VIIe siècle, après une période de conflits, un accord aurait été signé entre les Arabes du Caire et la Nubie. Selon cet accord , les Arabes du Caire s’engagent à ne plus de conquérir la Nubie à condition que ceux-ci leur transmettent chaque année 300  « esclaves de bonne qualité ». Le Caire devient alors un centre d’échange d’esclaves du sud, c’est-à-dire ceux qu’on appelle à l’époque les Éthiopiens, du grec « peau brûlée », c’est-à-dire, les Noirs. Ce commerce est réalisé majoritairement par les Arabes et les Juifs de Méditerranée au Xe siècle, où l’on possède d’excellentes sources sur ce trafic au Caire.

Les esclaves avaient été présents dans les grandes plantations, en particulier au IXe siècle en Mésopotamie. Ils étaient utilisés massivement pour détruire la carapace de sel qui empêchait de cultiver les terres – et ils en mourraient très souvent. C’est là qu’éclate une révolte qui aurait duré une vingtaine d’années et, selon les sources, aurait conduit à l’exécution de 500 000 à un million d’esclaves.

L’esclavage arabo-musulman a surtout été un esclavage urbain. En parallèle, il existait de grandes maisonnées avec des princes qui possédaient des esclaves noirs. C’est à ce moment-là, aux IXe, Xe et XIe siècles, que les auteurs arabes d’Afrique du Nord et d’Égypte commencent à formuler des réflexions négatives sur la couleur noire : la traite transsaharienne combine le facteur religieux : l’ esclave n’est pas musulman , la couleur de peau est noire..

L’identification entre couleur et esclavage va se systématiser avec la traite atlantique : progressivement, avec l’échec de l’utilisation d’esclaves indo-américains dans le courant du XVIe et au début du XVIIe siècle, les planteurs constatent que les Africains subsahariens sont une main-d’œuvre plutôt facile à obtenir, tandis que les climats entre pays d’origine et plantations sont analogues. Dès lors, il y a assimilation totale entre noir et esclave. Ainsi, au XVIIIe siècle, le mot nègre signifie : esclave noir. Il s’agit d’une invention du commerce atlantique, c’est-à-dire des Européens.

Côté africain, ce sont d’abord les chefs côtiers qui vont faire affaire avec les premiers Portugais arrivés au XVe siècle. Le commerce se met en place, car il est rentable pour tous les partenaires :  les produits  importés n’existent pas sur place – les fusils, notamment, vont permettre d’approvisionner les guerres contre de potentiels ennemis (car il s’agit d’États indépendants les uns des autres : on ne vend pas ses propres sujets, on va les razzier ailleurs).

La suppression de l’esclavage par les Britanniques dans les îles (et dans la colonie du Cap) intervint seulement avec la loi de 1833. Ce sera 1848 pour les colonies françaises*, 1863 aux États-Unis, et 1888, seulement au Brésil (en théorie surtout, car la répression sévissait localement). Dans leurs possessions africaines, les colonisateurs n’interdiront l’esclavage interne au sein des sociétés coutumières qu’au début du XXe siècle.

Dans le monde scientifique, ceux qui pensent alors que les races n’existent pas sont très minoritaires. C’est en 1976 qu’Albert Jacquard popularise, dans un ouvrage de vulgarisation scientifique, l’inexistence scientifique du concept de race, montrant qu’il s’agit d’une construction historique. »

La citation d’Albert Jacquard la plus  pertinente : «  L’autre est différent, certes. Il ne s’agit pas de nier cette différence, ou de prétendre l’oublier, mais d’en tirer parti. Car la vie se nourrit de différences ; l’uniformité mène à la mort. »

Malgré cela,  le concept de race, fondée sur l’esclavage des Noirs, reste très difficile à déraciner dans l’esprit des gens… Pourquoi ?

Pour la majorité des gens , il s’agit de se sentir supérieur à quelqu’un quand on n’est pas sur de soi …et c’est l’aveu de sa propre médiocrité,  pour les puissants, c’est l’avidité, car on ne veut pas payer au juste prix le travail de l’autre, par l’intermédiaire des mafieux qui se font de l’argent  avec la misère humaine, quelque soit la couleur de peau de ces malheureux, et ne nous croyons pas à l’abri.

Les esclaves modernes sont ceux qui travaillent dans les mines d’or, les sweat shops, les ateliers de confections à bas prix, les enfants encore exploités dans les fabriques de toutes sortes, notamment ceux des camps de réfugiés à la frontière de la Syrie et de la Turquie, les non déclarés des chantiers  de construction en Europe, ceux qui travaillent dans les mines en Afrique, etc, qui n’ont aucun droit et qui peuvent disparaitre sans que personne ne les retrouve.                                                                          

Être esclave. Afrique-Amériques (XVe-XIXe siècles), de Catherine Coquery-Vidrovitch et Éric Mesnard, initialement paru aux éditions La Découverte en 2013, a été réédité en 2019.

*On se demande pourquoi Napoléon 1er est épargné lorsqu’on sait qu’il a de nouveau autorisé l’esclavage abolit par la révolution, à cause de Joséphine de Beauharnais.

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Un commentaire sur “la domination des faibles par les forts”

  1. Bel article intelligent que tout le monde devrait lire au regard de la non connaissance de la chose actuellement…..et de plein de bêtises énoncées su ce sujet…Je vais transmettre autour de moi..
    Genevieve

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