Je ne suis pas l’auteur de cette page que je transmets, car je la trouve complète et claire, puisqu’ il semble que ceci soit oublié, ou mal compris du fait de l’ originalité française au sein des différents pays de l’Europe, que les diverses populations pensent homogène.
Je l’ai mis dans la rubrique « Faits de société ». Ces faits de société doivent nous faire réfléchir si l’on veut analyser les comportements tant individuels que collectifs, qui sont en rapport avec les transits lents, sans perdre notre bel optimisme .
Mais nous sommes loin de la coupe aux lèvres car les volontaires se font rares, tant l’ampleur de la tâche est devenue énorme.
Ferdinand Buisson, directeur de l’enseignement scolaire de Jules Ferry, cofondateur de la Ligue des Droits de l’Homme, président de la commission chargée de rédiger la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, et prix Nobel de la Paix en 1927, est la personne la mieux placée qui soit pour expliquer la loi, ce qu’il a fait dans l’article « laïcité » de son « Nouveau Dictionnaire de Pédagogie et d’Instruction Primaire. »
« Par laïcité de l’enseignement primaire, il fallait entendre la réduction de cet enseignement à l’étude de la lecture et de l’écriture, de l’orthographe et de l’arithmétique, à des leçons de choses et à des leçons de mots, toute allusion aux idées morales, philosophiques et religieuses étant interdite comme une infraction à la stricte neutralité, car nous n’hésitons pas à dire que c’en serait fait de notre enseignement national. Ce serait ramener l’instituteur au rôle presque machinal de l’ancien magister dont les deux attributs distinctifs étaient la férule et la plume d’oie, l’une résumant toute sa méthode et l’autre tout son art.
Si l’instituteur ne doit pas être un éducateur, quelques titres qu’on lui donne, quelque position qu’on lui assure, quelque savoir qu’il possède, sa mission est amoindrie et tronquée au point de n’être plus digne du respect qui l’entoure aujourd’hui.
L’enfant du peuple a besoin d’autre chose que de l’apprentissage technique de l’alphabet et de la table de Pythagore ; il a besoin, comme on l’a si heureusement dit, d’une éducation libérale, et c’est la dignité de l’instituteur et la noblesse de l’école de donner cette éducation sans sortir des cadres modestes de renseignement populaire.
Or qui peut prétendre qu’il y ait une éducation sans un ensemble d’influences morales, sans une certaine culture générale de l’âme, sans quelques notions sur l’homme lui-même, sur ses devoirs et sur sa destinée ?
Il faut donc que l’instituteur puisse être un maître de morale, en même temps qu’un maître de langue ou de calcul, pour que son œuvre soit complète. Il faut qu’il continue à avoir charge d’âmes, et à en être profondément pénétré. Il faut qu’il ait le droit et le devoir de parler au cœur aussi bien qu’à l’esprit, de surveiller dans chaque enfant l’éducation de la conscience au moins à l’égal de toute autre partie de son enseignement. Et un tel rôle est incompatible avec l’affectation de la neutralité, ou de l’indifférence, ou du mutisme obligatoire sur toutes les questions d’ordre moral, philosophique et religieux. « Il y a deux espèces de neutralité de l’école, disait très bien le ministre de l’instruction publique au cours de la discussion de la loi de 1882 : il y a la neutralité confessionnelle et la neutralité philosophique. Et il ne s’agit dans cette loi que de la neutralité confessionnelle.»
L’instituteur se doit, doit à ses élèves et doit à l’État de ne prendre parti dans l’exercice de ses fonctions ni pour ni contre, aucun culte, aucune église, aucune doctrine religieuse, ce domaine étant et devant rester le domaine sacré de la conscience.
Mais on pousserait le système à l’absurde si l’on prétendait demander au maître de ne pas prendre parti entre le bien et le mal, entre la morale du devoir et la morale du plaisir, entre le patriotisme et l’égoïsme, si on lui interdisait de faire appel aux sentiments généreux, aux émotions nobles, à toutes ces grandes et hautes idées morales que l’humanité se transmet sous des noms divers, depuis quelques mille ans comme le patrimoine de la civilisation et du progrès.
Et le ministre a eu raison, aussi longtemps qu’a duré la discussion de cette loi, et malgré tous les efforts de ses adversaires, de s’obstiner à les ramener toujours de la spéculation et, de la logique à outrance aux faits et aux considérations pratiques : il avait pour lui le bon sens et l’expérience, quand il soutenait, qu’en somme l’enseignement de la morale n’est ni une impossibilité, ni une contradiction, avec le caractère neutre de l’école.
Mais quelle morale? ne cessait-on de lui demander. Et il ne cessait de répondre : « Mais tout simplement la bonne vieille morale de nos pères, la nôtre, la vôtre, car nous n’en avons qu’une. Nous avons plusieurs théories, mais dans la pratique, c’est la même morale que nous avons reçue de nos parents et que nous transmettons à nos enfants. Oui, ajoutait-il en terminant, quoique vous fassiez pour obscurcir cette notion, oui, la société laïque peut donner un enseignement moral, oui, les instituteurs peuvent enseigner la morale sans se livrer aux recherches métaphysiques. Ce n’est pas le principe de la chose qu’ils enseigneront, c’est la chose elle-même, c’est la bonne, la vieille, l’antique morale humaine. »
La laïcité de l’école n’exclut pas l’éducation morale, elle lui donne au contraire un rôle et une portée qu’elle n’avait jamais eu auparavant. Aussi les nouveaux programmes, ont-ils fait une place à part à cet enseignement laïque de la morale, en lui imprimant un caractère distinct de tous les autres enseignements.
« Tandis que les autres études, dit l’instruction du 27 juillet 1882, développent chacune, un ordre spécial d’aptitudes et de connaissances utiles, celle-ci tend à développer dans l’homme, l’homme lui-même c’est-à-dire un cœur, une intelligence, une conscience. Cette éducation n’a pas pour but de faire savoir, mais de faire vouloir ; elle cherche avant tout à en faire une habitude qui gouverne la vie. A l’école primaire surtout, ce n’est pas une science, c’est un art, l’art d’incliner la volonté libre vers le bien.
L’instituteur est chargé de cette partie de l’éducation, en même temps que des autres, comme représentant de la société : la société laïque et démocratique a, en effet, l’intérêt le plus direct à ce que tous ses membres soient initiés de bonne heure et, par des leçons ineffaçables au sentiment de leur dignité et à un sentiment non moins profond de leur devoir et de leur responsabilité personnelle.
« Sa mission est donc bien délimitée : elle consiste à fortifier, à enraciner dans l’âme de ses élèves, pour toute leur vie, en les faisant passer dans la pratique quotidienne, ces notions essentielles de moralité humaine, communes à toutes les doctrines et nécessaires à tous les hommes civilisés. Il peut remplir celte mission sans avoir à faire personnellement ni adhésion, ni opposition, à aucune des diverses croyances confessionnelles, auxquelles ses élèves associent et mêlent les principes généraux de la morale. Il prend ces enfants tels qu’ils lui viennent, avec leurs idées et leur langage, avec les croyances qu’ils tiennent de la famille, et il n’a d’autre souci que de leur apprendre à en tirer ce qu’elles contiennent de plus précieux au point de vue social, c’est-à-dire les préceptes d’une haute moralité.
Plus tard, devenus citoyen, ils seront peut-être séparés par des opinions dogmatiques, mais du moins ils seront d’accord dans la pratique, pour placer le but de la vie aussi haut que possible, pour avoir la même horreur de tout ce qui est bas et vil, la même admiration de ce qui est noble et généreux, la même délicatesse dans l’appréciation du devoir. »
Quant à la laïcité du personnel enseignant, elle fut posée en principe par la loi du 30 octobre 1886, qui dit, à l’article 17 : « Dans les écoles publiques de tout ordre, l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque ». En 1901, ce ne fut plus dans l’école publique seulement, mais dans l’école privée, qu’une partie du personnel congréganiste se vit refuser le droit d’enseigner : l’article 14 de la loi du 1er juillet 1901 interdit l’enseignement aux membres des congrégations non autorisées. La loi du 7 juillet 1904 alla plus loin, et acheva la suppression totale de l’enseignement congréganiste : elle déclara, dans son article 1er, que « l’enseignement de tout ordre et de toute nature est interdit en France aux congrégations ».